La règle d’ordre public de transfert de plein droit des contrats de travail, en cas de transfert d’entreprise, a subi un profond bouleversement depuis la loi Travail.
En effet, la Loi Travail du 8 août 2016 a amorcé un assouplissement aux règles du transfert d’entreprise, favorisant des licenciements en cas de transfert d’activité des grandes entreprises.
L’Ordonnance Macron du 22 septembre 2017 a poursuivi cette évolution, en autorisant des licenciements avant le transfert de l’entreprise aux entreprises de plus 50 salariés.
1/ Transfert des contrats de travail avant la Loi Travail et l’Ordonnance Macron.
Pour comprendre l’évolution législative en la matière, il est utile de revenir aux sources et de rappeler le texte de référence, le fameux article L. 1224-1 du Code du travail, rédigé comme suit : « Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ».
Autrement dit, l’article L. 1224-1 du Code du travail prévoit la poursuite par le nouvel employeur des contrats de travail en cours notamment en cas de succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise.
La jurisprudence a cependant décidé de ne pas s’arrêter en si bon chemin. Aussi, plus protectrice que la loi, elle étend le maintien de plein droit des contrats au transfert d’une entité économique autonome.
Selon la jurisprudence, l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail exige que deux conditions cumulatives soient remplies, à savoir :
- Transfert d’une entité économique autonome ;
- Maintien de l’identité de l’entité transférée avec poursuite ou reprise de l’activité de cette entité par le repreneur (Cass. Ass. Plén. 16 mars 1990, n°89-45.730 et n°86-40.686).
En conséquence, le transfert doit porter sur une entité économique autonome. Selon la jurisprudence, constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique poursuivant un objectif propre (Cass. Soc. 07 juillet 1998, n°96-21.451).
L’entité économique doit conserver son identité après le transfert, ce qui résulte notamment de la poursuite ou de la reprise par le repreneur de l’activité avec les moyens d’exploitation nécessaires. La seule poursuite d’une activité identique ne peut suffire à caractériser le transfert d’une entité économique autonome (Cass. Soc. 26 juin 2008, n°07-41.294).
Quels sont les effets de ce transfert ? Le transfert d’une entité économique autonome entraîne de plein droit le maintien avec le repreneur des contrats de travail qui y sont attachés.
Rappelons que les dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail sont d’ordre public (Cass. Soc. 13 juin 1990, n°86-45.216 ; Cass. Soc. 22 juin 1993, n°90-44.705 ; Cass. Ch. Mixte, 7 juillet 2006, n°04-14.788). Dans l’arrêt du 7 juillet 2006, la Cour de Cassation a jugé que la clause de la convention de cession d’une entité économique autonome, qui ne prévoit que la reprise d’une partie des salariés, contraire aux dispositions d’ordre public de l’article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (devenu l’article L. 1224-1 du Code du travail), doit être réputée non écrite, sans qu’en soit affectée entre les parties la validité de la convention de cession.
De même, le salarié ne peut refuser la poursuite de contrat de travail auprès de nouvel employeur (Cass. Soc. 27 juin 2002, n°00-44.006).
Sauf exceptions prévues par la loi, le licenciement d’un salarié prononcé par le cédant à l’occasion du transfert d’une entité économique autonome dont l’activité est poursuivie, est privé d’effet (jurisprudence constante). Depuis l’arrêt « Maldonado » (Cass. Soc. 20 mars 2002, nº 00-41.651), le salarié dispose d’une option, et peut « à son choix, demander au repreneur la poursuite du contrat de travail illégalement rompu ou demander à l’auteur du licenciement illégal la réparation du préjudice en résultant ».
De même, les juges veillent à ce que le recours au licenciement par le nouvel employeur ne constitue pas un détournement de procédure de nature à faire échec au transfert des contrats de travail. La jurisprudence s’est toujours montrée intransigeante sur cette question de maintien des contrats de travail.
2/ Transfert des contrats de travail après la Loi Travail et l’Ordonnance Macron.
La Loi Travail n°2016-1088 du 08 août 2016 (art.94) crée une véritable entorse au principe d’ordre public de maintien de plein droit avec le nouvel employeur des contrats de travail, puisqu’elle introduit la possibilité de procéder à des licenciements avant le transfert de l’entreprise.
Certes, à l’origine, cette dérogation ne concernait qu’une poignée d’entreprises, car cette possibilité était réservée aux entreprises d’au moins 1 000 salariés, celles appartenant à un groupe d’au moins 1.000 salariés, ainsi qu’aux entreprises de dimension communautaire ou appartenant à un groupe de dimension communautaire (comme le prévoit l’article L. 1233-61 ancien du Code du travail, qui renvoyait quant à lui aux entreprises mentionnées à l’article L. 1233-71 du Code du travail).
Mais, le mal est fait ! Le principe inébranlable de maintien des contrats de travail avec le repreneur relève bien du passé. L’économie française appelle-t-elle aux changements ?! Plus politique qu’économique ? Plus économique que politique ? Quoiqu’il en soit, cette entorse au principe de la poursuite des contrats de travail avec le cessionnaire bouleverse le droit du travail français. Le salarié n’est plus assuré que son contrat de travail soit poursuivi et, ce même si les conditions de l’article L. 1224-1 du Code du travail sont remplies.
Faut-il en déduire que l’article L. 1233-61 du Code du travail prime sur l’article L. 1224-1 du Code du travail ? A l’évidence, ce dernier cède la place de choix, qui lui a été dévolue pendant des nombreuses années ! Désormais, l’article L 1224-1 du Code du travail vient à s’appliquer sous réserve que les conditions de l’article L.1233-61 du Code du travail ne soient pas remplies !
Temps de s’habituer à l’idée peut-être… Un an plus tard, l’Ordonnance Macron (Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, art. 19) est venue enfoncer le clou en modifiant à nouveau le texte de l’article L. 1233-61 du Code du travail. Mais que prévoit au juste cette Ordonnance Macron ? Elle se contente tout compte fait d’une simple suppression de la phrase « dans les entreprises mentionnées à l’article L. 1233-71 » au dernier alinéa de l’article L.1233-61 du Code du travail, aux conséquences juridiques, économiques et sociales pourtant colossales.
En conséquence, le nouveau dispositif de dérogation au transfert automatique des contrats de travail est applicable aux entreprises d’au moins cinquante salariés. De fait, il continue à exclure les entreprises de moins de 50 salariés.
Désormais, les dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du Travail relatives au transfert des contrats de travail ne s’appliquent que dans la limite du nombre d’emplois qui n’ont pas été supprimés à la suite des licenciements, à la date d’effet de ce transfert, lorsque deux conditions cumulatives sont remplies :
- Lorsque le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) comporte, en vue d’éviter la fermeture d’un ou de plusieurs établissements, le transfert d’une ou de plusieurs entités économiques nécessaires à la sauvegarde d’une partie des emplois ;
- Et lorsque l’entreprise souhaite accepter une offre de reprise.
Cette mesure ne peut donc être mise en œuvre que dans le cadre d’un PSE. Rappelons que dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, l’employeur établit et met en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours.
Notons à ce titre que l’article L. 1233-62 modifié du Code du travail, a complété la liste des mesures du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), comme suit : « 1° bis Des actions favorisant la reprise de tout ou partie des activités en vue d’éviter la fermeture d’un ou de plusieurs établissements ».
Pour bénéficier de cette dérogation – autorisant les licenciements avant le transfert – l’employeur devra donc être en mesure de démontrer qu’en l’absence de transfert, des établissements auraient été fermés et que le nombre de licenciements prononcés aurait été plus important.
La loi permet désormais de licencier avant le transfert d’entreprise. Le cessionnaire n’est tenu de reprendre que les salariés, qui n’ont pas été licenciés par le cédant au jour du transfert du contrat de travail.
Notons également que le droit du travail n’est pas le seul à être impacté par cette nouvelle mesure. Comme le savent si bien les spécialistes affutés en droit des sociétés, qui s’occupent des transferts d’entreprise, en cas de cession d’une entreprise, le coût du licenciement est souvent intégré dans les négociations, afin que le vendeur prenne en charge tout ou partie des indemnités versées à cette occasion. Cette dérogation aura de toute évidence des effets majeurs sur la négociation du prix de cession d’une entreprise.
A vos marques, prêts, négociez ! En contrepartie, le cédant devra quant à lui assumer la partie peu glorieuse du travail, celle de supprimer les postes de travail, que le repreneur ne souhaite pas reprendre.